VICTOR PULLIAT (1827-1896)

Un ouvrage vient de paraître: Victor PULLIAT, prophète en son pays (2012, édition Le Poutan)


Propagateur de la greffe, sauveur de la vigne, l’homme trop souvent oublié du Beaujolais

Depuis la seconde moitié du 19° siècle, la vigne connaît en France un essor fabuleux. 
La consommation croissante chez les classes populaires lui assure des débouchés intéressants. Les droits d’entrée dans les villes, auparavant écrasants, sont diminués de moitié (1852). 

La pyrale (parasite animal) a été vaincue par la pratique de l’Echaudage, et l’oïdium (maladie végétale) a trouvé un remède par le soufrage des plants pendant la pousse de la vigne. 
Ainsi, en 1870 la vigne couvre près de 2 millions d’hectares, fait vivre une population nombreuse et alimente un commerce rémunérateur. 

Cependant, dès 1860 on remarque des dégâts du phylloxéra dans le Gard et la Gironde. 
Ce minuscule insecte hémiptère se nourrit des racines de la vigne et provoque rapidement la mort des ceps. 
Même si les vignerons répugnent à signaler les foyers d’invasion, il se propage de manière foudroyante dans le midi, justement là où le vignoble a grignoté landes et friches, pour s’imposer magistralement, mais toujours de manière destructrice. Sur une commune, il n’est pas rare de voir la surface envahie par l’insecte destructeur doublée en un an. 

En l’espace d’une décennie, de 1870 à 1880, le seul Beaujolais perd 1/5° de sa population. 
En 1883, la moitié du vignoble Français est anéantie et l’autre menacée. 
Les viticulteurs sèment des céréales, là où le sol ne se prête pas toujours à ce type de culture, ils quittent la région, contraints à émigrer pour aller gagner leur pain dans une contrée plus favorable. Beaucoup entrent dans une compagnie de chemin de fer ou de tramways. 

Alerté, le gouvernement offre une prime de 300 000 francs à qui trouvera le moyen efficace pour lutter contre le phylloxéra. Près de 3000 remèdes sont déposés entre les mains de l’administration, sans succès. 
Les vignerons prolongent l’existence de leurs vignes en utilisant des engrais et en pratiquant la submersion. 
Les pouvoirs publics nomment une commission supérieure du phylloxéra présidée par Pasteur, assisté du conseiller d’état Tisserand, elle réunit des scientifiques réputés. 
La commission préconise l’emploi du sulfure de carbone, qui devient rapidement la méthode la plus en vogue. 
En 1872, une loi gouvernementale accorde des subventions aux communes décidées à défendre leur vignoble. La première commune du Rhône à fonder une association locale de défense est Chiroubles. 

Dans ce petit village, deux tendances s’affrontent, avec deux conceptions différentes du remède, dont un seul pouvait sauver le vignoble. 
Emile Cheysson (1836- 1910), jeune polytechnicien, propriétaire d’un domaine important, membre de l’institut préconise l’emploi des insecticides.

Victor Pulliat, est né le 17 avril 1827 dans la maison familiale de Tempéré

Très jeune, il se passionne pour l’étude des plantes, leur culture, s’intéressant aux rosiers, aux arbres fruitiers et à la vigne. Il devient le praticien convaincu, le travailleur infatigable qui consacrait les jours aux travaux manuels, les nuits aux lectures scientifiques. A sa rencontre avec Monsieur MAS, savant pomologiste et viticulteur du département de l’Ain, Victor Pulliat sait que sa voie est tracée, la vigne compte désormais un défenseur passionné de plus. 

Avec Alphonse MAS, entre 1874 et 1880 il publie le Vignoble, important ouvrage en 4 volumes. Il crée dès 1869 la Société Régionale de Viticulture de Lyon, dont il est secrétaire général, puis président, il en est l’inspirateur et l’âme véritable. 
Il est délégué pour la société des agriculteurs de France pour l’étude des vignobles de la vallée du Rhône, pour la société régionale de viticulture, il se rend dans tous les congrès ampélographiques et phylloxériques. 

Les cépages les plus divers couvrent les coteaux de Tempéré, le viticulteur crée sa collection de 1200 plants de vignes issus de tous les vignobles d’Europe, d’Asie, d’Amérique, d’Afrique, grâce au concours de tous les vignerons ampélographes qui apprennent à le connaître. 
C’est à Chiroubles, qu’il étudie et décrit les divers cépages, qu’il procède à des essais de greffes. De 1875 à 1885, Victor Pulliat parcourt la plupart des pays d’Europe. De l’Autriche à l’Italie, de la Suisse au Portugal, il recueille des avis, des informations, s’informe des nouvelles techniques, des échecs et des succès. 

Il n’est pas convaincu par le traitement au sulfure de carbone. Ce procédé est laborieux (enfoncer dans la terre près de chaque cep un appareil injecteur), minutieux (dosage adapté à chaque nature de sol), il doit être pratiqué plusieurs années de suite, et onéreux . Il faut ensuite apporter des engrais pour régénérer le sol et les résultats obtenus se révèlent partiels et aléatoires. 
Victor Pulliat observe le développement de l’insecte et son étonnante capacité de reproduction. Un seul insecte peut avoir une descendance de plusieurs milliards d’individus, et n’abandonne un coin de vignoble qu’après l’avoir totalement anéanti ! 
Il choisi d’étudier une greffe qui n’altère pas la qualité du vin et préserve la quantité de la récolte. Il obtient des résultats concluants en greffant des « sauvageons » français sur des plants américains résistants à l’insecte. 
Cette résistance des plants américains donne du crédit à l’hypothèse de l’époque selon laquelle le Phylloxéra serait une variété d’un parasite importé d’Amérique s’étant adapté en France. 

Bien que s’opposant à l’opinion publique, à l’avis de la commission supérieure du phylloxéra, il explique inlassablement aux viticulteurs de la région que la crise phylloxérique a trouvé sa solution, le greffage de notre plant beaujolais sur racine résistante est le moyen le plus certain pour reconstituer nos vignobles. 
A Chiroubles, Emile Cheysson (1836- 1910), jeune polytechnicien, propriétaire d’un domaine important, membre de l’institut préconise l’emploi des insecticides 
Emile Cheysson, partisan du sulfure de carbone, qui aura permis de prolonger la vie des ceps contaminés, reconnaîtra l’efficacité du greffage, et les actions complémentaires des deux hommes permirent de reconstituer progressivement le vignoble de Chiroubles. 
Pour arriver à cette reconstitution, il faudra des plants américains et des greffeurs. Sans se décourager, Pulliat met au point un greffoir et initie les jeunes vignerons à la pratique de l’entement (greffage). Le fléau recule. Les écoles de greffage sont créées par la société de viticulture de Lyon, reprises par le ministère de l’agriculture. 

En 1888, la commission supérieure du phylloxéra prend position en faveur de la greffe sur plant résistant. Pulliat n’a pas prêché en vain, les vignes du Beaujolais et de France renaissent. 
Pulliat devient membre de la Société Nationale d’Agriculture, donne des cours à l’institut agronomique à Paris, puis dirige l’école d’agriculture d’Ecully. On lui doit de nombreux ouvrages 
Issu d’une famille modeste, Victor Pulliat eut le malheur, à l’âge de sept ans, de perdre son père, propriétaire cultivateur estimé. Sa vie fut laborieuse, se levant à l’aube pour cultiver et observer ses fleurs, ses arbres, ses vignes et surtout sa merveilleuse collection de cépages. Il passait une partie de ses nuits à étudier et écrire. 

Toujours gai, affectueux et d’une charité effleurant souvent la prodigalité, il donnait sans compter. Les plus humbles surtout, parmi les visiteurs qui frappaient à son seuil, étaient assurés d’obtenir son appui. Comme en toutes choses, il ne retira de ce surcroît de travail aucun profit pécuniaire. A sa mort le 12 août 1896, il était certainement moins riche qu’au début de sa carrière. 
A ses funérailles, Emile Cheysson a eu l’honneur de retracer les étapes de la vie de Victor Pulliat. Sur son cercueil, il a pu dire : » si ceux qu’il a obligés, sauvés, étaient là, une foule immense couvrirait les coteaux verts de vignes et constituerait la plus belle des couronnes funèbres. » 
A Chiroubles, sur la place de l’église, la Société de viticulture de Lyon élève une statue à sa mémoire, en ouvrant une souscription, le monument fut inauguré le 3 septembre 1898, puis il sombre dans l’oubli le plus total. 

Les archives consultées montrent que la greffe était connue et utilisée de manière expérimentale, notamment dans le midi avant les recherches de Pulliat. On doit lui attribuer les essais grandeur nature, et la mise au point d’une technique de greffe simple et efficace. 
Plus d’un siècle après ces découvertes, la greffe sur plant résistant est toujours utilisée pour lutter contre le phylloxéra, l’insecte est toujours présent et gourmand des cépages français non greffés. 

Depuis 1981, en organisant la Fête des Crus du Beaujolais, les vignerons et la municipalité de Chiroubles ont réhabilité la mémoire de Victor Pulliat dans sa terre natale. Le concours Victor Pulliat qui se déroule chaque année, classant les trois premiers dans chacun des 10 crus du Beaujolais est aussi une reconnaissance de la tâche accomplie par cet homme permettant à notre région de se relever de la crise phylloxérique